Le meilleur critère comptable de prévision des cash-flows futurs est celui qui exprime de façon crédible les résultats des cycles d'exploitation récurrents...
En analyse financière, les cash-flows futurs sont actualisés car leur valeur dépend de la date de leur encaissement ou décaissement. Dans la plupart des cas, ces cash-flows futurs ne sont pas connus et il faut donc les estimer ou les prévoir.
D'aucuns soutiennent que, pour les besoins de l'analyse financière, seuls les cash-flows doivent être pris en compte. Dans de nombreux cas cependant, les résultats donnent une meilleure base pour la prévision des cash-flows futurs que l'historique des cash-flows lui-même. En effet, les résultats écrêtent les cash-flows d'une manière qui reflète la performance d'exploitation de l'entreprise.
Les cash-flows historiques
Prenons l'exemple d'une société qui peut être considérée comme le sujet idéal d'un exercice de prévision : une entreprise mature, stable et prospère. Ce type d'entreprise dégage une trésorerie suffisante pour renouveller ses investissements tout en rémunérant le capital investi.
Par exemple, Mature SA est une entreprise rentable. Elle ne connaît pas une croissance rapide, mais n'est pas non plus en perte de vitesse. Elle peut aisément assurer le service de sa dette et verse un dividende conséquent (60 % de ses bénéfices).
En observant les ressources et les emplois de la trésorerie de Mature SA, nous constatons que l'exploitation génère un cash-flow de 300, qui suffit à payer les charges financières, les impôts, les dividendes, ainsi qu'à faire face au renouvellement des immobilisations.
La stabilité de la société Mature SA présente la configuration idéale pour se livrer à l'exercice toujours hasardeux qui consiste à extrapoler le futur à partir du passé.
Si Mature SA poursuit ses activités de la même manière, on peut anticiper que ses cash-flows futurs seront à peu près identiques d'une année sur l'autre. Le cash-flow disponible, c'est-à-dire le cash-flow d'exploitation auquel on retranche les charges financières, les impôts et les investissements, ressort à 67 (soit 300 - 57 - 36 - 140). On observera que ce chiffre est strictement équivalent au résultat publié de Mature SA.
Cet exemple, certes théorique, permet néanmoins de tirer une conclusion valable grosso modo pour les entreprises stables et prospères : le résultat après dividende et le cash-flow disponible sont de même ordre de grandeur en montant et sont d'une valeur prédictive équivalente.
Maintenant, prenons l'exemple de la société Croissance SA, une entreprise rentable et en expansion rapide. Les immobilisations doublent quasiment d'un exercice sur l'autre et le besoin en fonds de roulement d'exploitation est multiplié par plus de cinq. Comme de nombreuses entreprises en forte croissance, Croissance SA ne verse pas de dividendes car ses besoins en trésorerie sont trop importants. Que se passe-t-il au niveau du cash-flow disponible, dans cette période d'expansion rapide ?
Sous la pression d'un besoin en fonds de roulement fortement croissant, les cash-flows d'exploitation ne couvrent pas les charges financières et les impôts, de telle sorte que le cash-flow disponible est négatif : - 617, (soit 30 - 79 - 28 - 540). La société doit trouver le financement nécessaire à son développement et dans ce cas elle le fait par le recours à l'emprunt. Si la société choisissait de procéder à une augmentation de capital plutôt que d'emprunter, cela ne changerait rien fondamentalement.
Dans la situation de Croissance SA, on ne doit pas s'attendre à ce que le futur ressemble au passé, même si la société poursuit la même activité. En effet, le développement rapide de Croissance SA ne peut pas se poursuivre indéfiniment : une société dont la taille triplerait tous les ans en viendrait logiquement à dominer l'économie mondiale en quelques dizaines d'années !
Il existe bien évidemment des freins à la croissance, qui sont notamment la concurrence et la saturation du marché. Les cash-flows eux-mêmes montrent pourquoi un tel rythme de croissance ne peut pas se maintenir: la société ne peut pas assurer sa pérennité avec des cash-flows d'exploitation qui ne couvrent pas ses charges financières et ses impôts. Par conséquent, le cash-flow disponible de la société Croissance SA ne constitue manifestement pas un bon indicateur de ses cash-flows futurs.
Si nous devions utiliser le cash-flow disponible de Croissance SA dans un calcul de valeur actualisée, nous aboutirions à une valeur d'entreprise négative. Le problème du critère du cash-flow est en fait le suivant : les investissements en immobilisation et en besoin de fonds de roulement d'aujourd'hui drainent la trésorerie mais sont normalement générateurs des cash-flows d'exploitation exédentaires de demain. L'utilisation du résultat donne une photo différente. Dans le cas de Croissance SA, le résultat après amortissements, charges financières et impôts, est positif. Le résultat serait-il alors dans ce cas un meilleur indicateur des cash-flows futurs ?
Le résultat et le cash-flow, bien qu'ayant un rapport l'un avec l'autre, mesurent des grandeurs fondamentalement différentes. Le cash-flow est le solde des entrées et des sorties de trésorerie dans une période donnée. Quant au résultat, c'est le solde des entrées et des sorties de trésorerie résultant de cycles d'exploitation achevés. Les cycles d'exploitation de la société sont déterminés par la nature de ses activités.
Les industriels, les sociétés de distribution et les prestataires de services, par exemple, acquièrent des biens et services, les transforment, y incorporent de la valeur, pour ensuite les revendre. Au cours de ce processus, ils reçoivent des paiements de leurs acheteurs et paient leurs propres fournisseurs de biens et services. Conceptuellement, ces entrées et sorties de fonds constituent les jalons du cycle d'exploitation, mais elles peuvent en fait intervenir à tout moment, en fonction des stipulations contractuelles ou des pratiques du secteur.
A titre d'exemple, une société peut très bien percevoir de sa clientèle le prix des biens avant de les lui avoir livrés ou le prix des services avant de les avoir effectués, comme c'est le cas des compagnies aériennes, ou bien au moment de la livraison de la marchandise ou de l'exécution du service, comme cela se pratique couramment dans la distribution, ou même encore ne percevoir le prix qu'après la livraison de marchandise, comme le pratiquent souvent les grossistes. La plupart des entreprises en activité ont, bien entendu, de nombreux cycles d'exploitation simultanément en cours, à des stades divers d'avancement.
Les résultats et les cash-flows apportent deux éclairages différents sur ces cycles : ils les prennent en compte de manières différentes. En effet, le cash-flow mesure les entrées et les sorties de liquidités sur une période donnée, et prend en compte tous les cycles d'exploitation, à quelque stade d'avancement qu'ils se trouvent. Le résultat mesure les entrées et sorties provenant des cycles d'exploitation achevés dans une période, quel que soit le moment où les flux de liquidités sont intervenus.
Sur la base des résultats
Le cycle d'exploitation est la notion clef pour comprendre pourquoi les résultats sont utiles pour la prévision des cash-flows. Une entreprise qui reste dans le même secteur d'activité va perpétuellement recommencer le même cycle d'exploitation. Tant que chaque cycle d'exploitation dégage des flux financiers nets positifs, le renouvellement de ces cycles d'activité doit avoir une valeur positive.
Dans ce cas, les résultats mesurent la performance récurrente de l'entreprise. Revenons à l'exemple de la société Croissance SA : on notera que son résultat est positif, c'est-à-dire que, pour un ensemble de transactions achevées, les encaissements provenant de ses clients suffisent à couvrir les décaissements occasionnés par ces ventes. Ce cash-flow positif est absorbé par le besoin en fonds de roulement et les investissements en immobilisations, qui serviront à assurer et développer les cycles d'exploitation en cours.
Parce que la société est en phase de croissance, les nouveaux investissements sont par définition beaucoup plus importants que les flux entrants de liquidités des cycles d'exploitation achevés. Les résultats, par contre, incluent le coût des marchandises et biens vendus et des amortissements, dont les montants sont davantage en rapport avec le chiffre d'affaires parce qu'ils sont mesurés sur des cycles d'exploitation achevés. Cela donne à penser que lorsque la prévision est difficile, les résultats peuvent être plus utiles que les cash-flows actuels pour mesurer les cash-flows futurs.
Mais cela ne s'applique pas seulement aux entreprises en croissance. Prenons un troisième exemple. Déclin SA est une entreprise qui décline rapidement, en raison peut-être d'un repli constant de la demande. La baisse des marges bénéficiaires est caractéristique de ce genre de situation. Déclin SA demeure tout juste rentable, mais ne verse pas de dividende.
Anticipant une demande future en baisse, l'entreprise réduit la production, ce qui diminue le fonds de roulement.
Il est plus difficile de diminuer rapidement les immobilisations, mais elles baissent également, en premier lieu parce que Déclin SA décide de ne pas renouveller les immobilisations arrivées en fin de vie. Dans ce scénario, les cash-flows d'exploitation sont élevés, car Déclin SA réduit son besoin en fonds de roulement d'exploitation, ce qui libère du cash. Ces cash-flows d'exploitation sont plus que suffisants pour financer les charges financières et les impôts de la société. La société diminue son endettement à l'aide du cash-flow disponible.
Dans cette situation, les cash-flows d'exploitation et les cash-flows disponibles sont importants parce que la société anticipe son déclin en réduisant ses activités. C'est un déclin plus glorieux que nombre de ceux auxquels il nous est donné d'assister, mais qui illustre notre point concernant la prévision des résultats futurs de la société sur la base des cash-flows historiques.
En effet, les cash-flows, dans le cas de Déclin SA, ne proviennent pas d'activités que la société entend poursuivre. En fait, ils résultent pour une large part d'une liquidation progressive d'actifs. Les résultats, au contraire, traduisent la baisse d'activité de l'entreprise et le potentiel limité de flux nets positifs que recèlent les cycles d'exploitation futurs. Comme nous l'avons dit plus haut, il est toujours risqué de prédire l'avenir en se fondant sur le passé.
Les exemples ci-dessus illustrent le fait que, par nature, le résultat est un meilleur indicateur des cash-flows futurs car il est engendré par les cycles d'exploitation et non pas par les flux seuls d'encaissement et de décaissement. Lorsqu'une entreprise n'augmente ni ne réduit ses capacités, les cash-flows et les résultats donnent des indications comparables. Lorsqu'une entreprise voit ses activités croître ou diminuer, le résultat reflète le cycle d'exploitation récurrent de la société, tandis que les cash-flows incluent également, à côté de cette information d'ordre opérationnel, les investissements et les désinvestissements.
Prudence
Il faut malgré tout émettre quelques réserves : les résultats ne sont pas un critère parfait. Il est important de comprendre quels sont les dangers potentiels de leur utilisation pour la prévision des cash-flows futurs. Le premier et le plus évident de ces dangers, c'est qu'une société n'est pas forcément en mesure de reproduire son niveau présent d'activité, en raison, par exemple, d'un changement d'orientation stratégique, ou de la recherche de marchés nouveaux ou différents. Dans ce cas, les flux nets des cycles d'exploitation actuels ne constituent pas un indicateur pertinent des cash-flows futurs.
De même, les cash-flows d'une ancienne activité ne sont guère davantage susceptibles de donner une idée de ceux d'une nouvelle activité. Autre point gênant, et plus sérieux : les données comptables, dans la plupart des grandes puissances économiques, ne sont pas actualisées en fonction de l'évolution des prix.
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