ECO&G- Hyper Etudiant
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par ECO&G 2009-10-25, 06:26
Source: www.lefigaro.fr
Date:Hier, 24-Octobre-2009
Lien:1929-2009 : quatre-vingts ans après le Jeudi noir OPINION - À l'occasion de l'anniversaire du krach de Wall Street le 24 octobre 1929, l'économiste et historien Nicolas Baverez établit un parallèle entre la grande dépression des années 1930 et la crise financière actuelle. Tout en soulignant une différence fondamentale : en 2009, une sortie de crise est envisageable. À condition de réformer le capitalisme.Quatre-vingts ans après le krach de Wall Street et le Jeudi noir du 24 octobre 1929, le capitalisme est passé tout prêt d'un effondrement plus radical encore que dans les années 1930, compte tenu de la dimension universelle qu'il a conquise depuis la chute de l'empire soviétique. Le spectre de la grande dépression des années 1930 a pourtant longtemps hanté la mémoire des démocraties, la déflation restant indissociable du chômage de masse et de la misère, de l'effondrement des échanges et des paiements mondiaux, de l'ascension des totalitarismes et de la course à la guerre. D'où, après la Seconde Guerre mondiale, la mise en place de la régulation keynésienne et des États providence, les accords de libre-échange et la construction européenne, soit le choix d'une économie de marché stabilisée par l'intervention publique. La stagflation des années 1970 entraîna la fin de l'ère keynésienne, ouvrant sur une nouvelle transformation du capitalisme avec la mondialisation, placée sous le signe de la montée en puissance des marchés au détriment des États, de la déréglementation, de l'innovation financière et de l'ouverture des frontières. Ce régime a implosé le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, qui sonne comme le Pearl Harbour de la mondialisation.
Des points communs
Les krachs de 1929 et 2008 présentent trois points communs.
• D'abord la nature économique du choc, à savoir une déflation par la dette dont l'origine réside dans une politique monétaire laxiste ayant encouragé la constitution d'une formidable bulle spéculative sur les marchés d'actions américains à la fin des années 1920, sur l'immobilier et le crédit dans les années 2000.
• Ensuite, les déséquilibres du modèle économique sous-jacent : limites de la production de masse face à la saturation de la demande et désordres monétaires et financiers issus de la Première Guerre mondiale dans les années folles ; divergence explosive entre les pays s'endettant pour consommer et importer - États-Unis, Royaume-Uni, Espagne et Irlande - d'un côté, les pays épargnant pour investir et exporter - Chine, Japon, Allemagne - de l'autre au début du XXIe siècle. • Enfin, ces crises actent non seulement le changement de donne du capitalisme, mais des bouleversements historiques : blocage de la norme de l'État minimal, incertitudes autour du leadership américain, antagonisme entre la démocratie et les totalitarismes dans l'entre-deux-guerres ; basculement du centre de gravité de la mondialisation vers l'Asie, déclin relatif des États-Unis et fin du monopole de l'Occident dans la régulation du capitalisme et l'histoire aujourd'hui.
La différence majeure entre les deux chocs tient à la politique économique, qui ménage en 2009 la possibilité d'une reprise progressive de l'activité et d'une sortie de crise pacifique. En 1929, le krach de Wall Street fut transformé en grande dépression américaine par le durcissement de la politique monétaire de la Réserve fédérale et la stratégie de retour à l'équilibre budgétaire poursuivie par l'Administration Hoover, qui se traduisirent par la faillite de 10 000 banques. Il s'élargit en déflation mondiale du fait du protectionnisme des États-Unis (loi Smoot Hawley de 1930), de l'échec de la conférence de Londres de 1933, puis de l'enchaînement des dévaluations compétitives qui provoquèrent une chute des trois quarts du commerce mondial au cours de la décennie. Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, les enseignements issus de la tragédie des années 1930 furent pleinement tirés. La politique économique a été mobilisée au plan mondial autour de trois priorités : le sauvetage des banques (17 000 milliards de concours à l'échelle de la planète) ; le soutien de l'activité et de l'emploi par la dépense publique (5 000 milliards de dollars au sein des pays développés et émergents) ; la condamnation du protectionnisme et la recherche de solutions coordonnées à travers le G20.
Reprise en vue
Ainsi, le risque d'un effondrement du système financier et d'une déflation mondiale a été contenu. Une reprise se dessine, partielle et hétérogène : la croissance s'élèvera à 7,5 % dans le monde émergent contre 1,5 % pour les pays développés en 2010. Elle ne doit pas pour autant être confondue avec la sortie de crise. D'abord parce que le choc mute, devenant de moins en moins financier et de plus en plus économique avec la perspective d'une croissance durablement ralentie par le désendettement et l'installation d'un chômage de masse touchant plus de 10 % de la population active. Ensuite parce que son dépassement suppose la résorption des déséquilibres structurels de la mondialisation.
Le plus difficile reste devant nous, qui consiste à réformer le capitalisme universel dont la configuration originale exclut de pouvoir se reposer sur les recettes du passé. En premier lieu, doit être engagée une coordination planétaire des stratégies de reprise, les États-Unis privilégiant la production et la reconstitution de l'épargne des ménages, la Chine libérant sa consommation intérieure grâce à la mise en place d'une protection sociale, l'Europe stimulant l'activité et l'emploi. Des relais de croissance sont à activer, qui passent par la solvabilisation de la demande du Sud, mais aussi par l'économie de la connaissance et la protection de l'environnement. Il est indispensable de planifier simultanément la normalisation des politiques économiques de soutien qui, pour indispensables qu'elles fussent, conduisent à une dette publique insoutenable de 150 % du PIB pour le G15 en 2015 et à une dégradation des banques centrales réduites à l'état de vastes hedge funds. Enfin, le modèle économique de la mondialisation est appelé à évoluer, qu'il s'agisse de la supervision et de la prévention des risques systémiques sur les marchés, du partage entre le travail et le capital, de la répartition de la production et de l'emploi, des flux d'épargne et d'investissements, des distorsions intenables entre les monnaies : dévaluation larvée du dollar ; sous-évaluation des monnaies asiatiques et non-convertibilité du yuan alors que la Chine est la deuxième économie mondiale ; surévaluation chronique de l'euro.
La mécanique déflationniste du krach a été enrayée, mais la crise est très loin d'être finie. L'euphorie qui gagne à nouveau les marchés et les banques - avec pour symbole le montant record de 140 milliards de dollars que s'apprêtent à distribuer les principales institutions financières américaines - est extrêmement dangereuse. Elle témoigne en effet de la répétition des erreurs effectuées après le krach des nouvelles technologies et les attentats de 2001, avec une relance fondée sur la création de deux nouvelles bulles autour des marchés d'actions et des dettes des États. Or le capitalisme mondialisé ne dispose plus de moyens de défense face à un nouveau choc majeur, compte tenu de la situation des finances publiques et des banques centrales du monde développé. Dans le même temps, la dynamique des changements impulsés par la crise montre des signes d'affaiblissement, de l'enlisement progressif de l'Administration Obama sous la pression des lobbies à la difficile application des décisions du G20 en passant par l'enterrement du gouvernement économique de l'Europe.
Le temps des grandes peurs
Trois scénarios sont envisageables.
• Le premier réside dans l'implosion de la mondialisation après l'éclatement de nouvelles bulles spéculatives, comme au début du XXe siècle : la brillante sortie de la déflation des années 1880 fut alors télescopée par le déchaînement des nationalismes qui provoquèrent le suicide de l'Europe et de sa civilisation libérale. • Le deuxième, plus nuancé, consiste dans la fragmentation de l'espace économique mondial autour de grands pôles mêlant coopération et confrontation. • Le troisième, qui seul préserve le fort potentiel de progrès économique, social et humain de la société ouverte, passe par des réformes structurelles du capitalisme universel.
Franklin Delano Roosevelt ouvrit le New Deal par la maxime suivante : «La seule chose que nous devons craindre, c'est la peur elle-même.» Les grandes crises sont aussi le temps des grandes peurs, qui déchaînent les passions collectives avec leur cortège de haine et de violence. La déflation des années 1930 ne trouva pas d'issue économique et ne fut dénouée que par le second conflit mondial, qui ouvrit l'espace pour les réformes de l'après-guerre organisées autour du fordisme et du keynésianisme, du plan Marshall et du système de Bretton Woods. L'histoire n'a pas vocation à se répéter. Il n'existe pas de liaison fatale entre la crise et la guerre. La mobilisation tardive mais efficace de la politique économique a réussi à bloquer la spirale déflationniste mondiale - même si le risque subsiste au Japon et en Europe. Pour autant, le système du XXIe siècle, parce que multipolaire et sans hégémonie, est par essence hétérogène et instable.
Il reste donc à imaginer et mettre en place une gouvernance politique de la mondialisation face aux marchés et aux risques globaux, y compris sanitaires ou environnementaux. L'Occident ne sera plus seul en situation de décider et sera concurrencé par des continents, des sociétés et des cultures ayant acclimaté le capitalisme sans pour autant reconnaître la liberté politique. Voilà pourquoi les démocraties, après avoir cédé à la déraison économique avec l'inflation des bulles, doivent à tout prix éviter de céder à la déraison politique. Elles ne retrouveront une légitimité et une liberté d'action pour peser sur l'histoire du siècle que si elles s'attellent sans plus tarder aux réformes dont le krach a démontré la nécessité.