Wana, le troisième opérateur de téléphonie mobile au Maroc a annoncé récemment avoir dépassé le nombre de 1 million de clients pour son service de téléphonie Bayn. Un million de clients en neuf mois, c'est une moyenne d'environ 3,700 clients par jour, weekends et jours fériés inclus! Ce sont des statistiques pour le moins impressionnantes pour un opérateur qui n'offre encore ni fixe ni mobile proprement dits. Ce ne sont pas des chiffres irréalistes cependant. Wana a réalisé l'essentiel de ces chiffres lors des premiers mois du lancement du service Bayn et lors du mois du ramadan qui a coïncidé avec la rentrée.
Sans avoir des tarifs réguliers bas pour les communications, les promotions offertes par Wana sont de loin plus intéressantes que celles de Maroc Telecom et de Méditel. Wana propose souvent des offres illimitées pour les appels intra-Bayn à un tarif parfois de 1 ou 5 dirhams. Ce n'est donc finalement pas très surprenant que Wana rencontre un tel succès, malgré les limitations géographiques pour l'utilisation du service.
La promotion exceptionnelle d'appels gratuits entre numéros Bayn jusqu'au 31 juillet dont ont bénéficié les clients qui ont souscrit au service entre le 7 février et le 5 avril y est pour beaucoup. A tel point qu'on se posait la question relativement à la possibilité qu'une partie importante de ces clients pouvait abandonner le service à la fin de la promotion. Le quotidien L'Economiste a rapporté récemment que le taux de churn pour l'opérateur a été de 3%, c'est-à-dire que l'opérateur a annoncé n'avoir perdu qu'environ 30 000 clients sur le million. Quand on sait que l'opérateur a presque réalisé ce nombre en une seule journée en février, cela semble un taux très bas.
Comme on peut le voir dans les tableaux et graphiques suivants, l'opérateur a pu en effet maintenir une croissance relativement régulière du nombre de ses clients.
Ces données sur l'évolution mensuelle du nombre de clients proviennent de deux sources: celles de l'ANRT en gras sont des données officielles, alors que celles en italique sont celles approximatives publiées par L'Economiste.
Graphiquement, la courbe est assez lisse. Elle n'indique aucune tendance à la baisse, bien au contraire.
Il est plus intéressant d'examiner la variation mensuelle calculée à partir du premier tableau.
Il est très intéressant de noter les ventes réalisées en septembre. Il est encore tôt pour essayer de tenir compte de l'aspect saisonnier observé au niveau de la téléphonie mobile.
La stratégie de Wana
Wana utilise une stratégie d'entrée sur le marché des télécoms très bien étudiée et qui englobe notamment des aspects économique, marketing et règlementaire.
Ces explications ayant été faites, on note que finalement Wana a d'abord visé un segment du marché qui n'est ni la téléphonie mobile ni la téléphonie fixe. Les marchés de ces services n'ont donc pas été bouleversés. Lors des trois premiers trimestres 2007, Maroc Telecom et Méditel ont vu le nombre de clients à la téléphonie mobile augmenter de près de 3,2 millions. Ce qui permet de relativiser un peu les chiffres de Wana. Les tarifs dans ces marchés (mobile et fixe) sont restés inchangés ou quasiment inchangés (pour le fixe).
Le marché du mobile est toujours un duopole et celui du fixe un monopole. Wana a créé un troisième marché sur lequel l'opérateur détient quasiment un monopole, sauf que l'opérateur essaie de se créer une base de consommateurs la plus large possible. La mobilité restreinte est également utilisée par Wana comme un cheval de Troie pour attaquer le marché de la téléphonie mobile au Maroc.
Si Wana maintient la même stratégie et la même tarification lorsque l'opérateur offrira la téléphonie mobile en début 2008, alors la concurrence commencerait réellement dans un marché qui en a grandement besoin.
La concurrence sur le fixe ne commencera qu'avec le dégroupage de la boucle locale de l'opérateur historique. Cela risque de prendre encore quelques années avant que cela n'arrive cependant. Cette option étant beaucoup moins rentable actuellement pour les opérateurs alternatifs par rapport à l'utilisation de leurs propres réseaux de téléphonie mobile.
La réaction et la non-réaction des autres opérateurs
Il n'y a eu quasiment aucune réaction de la part de Maroc Telecom au niveau des services de téléphonie mobile ou fixe. La seule réaction de l'opérateur historique a été une réduction importante des tarifs des appels en téléboutique. Ces tarifs ont par la suite été suivis par Wana. Il n'y a eu aucune modification au niveau des tarifs de la téléphonie mobile chez Maroc Telecom depuis plusieurs années. L'arrivée de Wana n'y a absolument rien changé.
Pour la téléphonie fixe, Maroc Telecom a modifié les tarifs mais de manière vicieuse. L'opérateur historique a allongé les paliers de décompte à 2 minutes! Il a unifié les tarifs pour les communications nationales, ce qui s'est traduit par une hausse des tarifs de tous les appels locaux. Pour l'offre MobiSud, celle-ci était prévue depuis longtemps et son lancement n'est pas lié à l'arrivée de Wana. Cette offre étant censée donner des incitations supplémentaires aux MRE (marocains résidents à l'étranger) pour que ceux-ci adoptent les produits MobiSud en France, en Belgique et bientôt dans d'autres pays. Par la même occasion, l'opérateur historique segmente davantage le marché de la téléphonie au Maroc.
Méditel, opérateur de téléphonie mobile, s'est senti plus menacé et a été très réactif la semaine même de l'entrée de Wana dans le marché de la téléphonie. Méditel a commencé par attaquer le concept même de mobilité restreinte, ce qui lui a valu, à tort à mon avis, la suspension d'une publicité qui comparait les produits Bayn à un petit taxi qui ne quitte pas le périmètre urbain. Méditel a profité d'une campagne de promotion déjà en cours pour proposer des packs GSM à un tarif inférieur à celui pratiqué par Wana, tarifs déjà très bas. Il ne faudrait pas confondre là les tarifs des packs (appareils téléphoniques) avec les tarifs des communications qui restent très élevés chez tous les opérateurs et parmi les plus élevés dans le monde arabe et en Afrique du Nord.
Méditel est même allé jusqu'à lancer la marque Forsa, dite « low cost », qui propose la téléphonie mobile nationale aux tarifs Bayn moins un centime. C'est l'unique réaction significative d'un opérateur au niveau des tarifs. En faisant cela cependant, Méditel ne s'adresse qu'à la clientèle potentielle de Wana et non pas à ses clients captifs pour qui les tarifs sont restés au beau fixe. Il s'agit là d'un autre exemple de la segmentation du marché.
Bilan pour 2007
J'admets que j'étais moi-même assez sceptique au départ relativement à l'offre en mobilité restreinte. Je suis de plus peu convaincu du choix d'offrir exclusivement des offres prépayées. Enfin, le choix d'adopter une technologie différente (CDMA2000) de celles des autres opérateurs restera un choix peu clair.
La tarification promotionnelle adoptée par l'opérateur est très intéressante et a apporté réellement un souffle nouveau. Sauf que le marché des télécoms au Maroc se porterait beaucoup mieux si les tarifs bas seraient les tarifs réguliers. Cela permettrait aux opérateurs de réserver un budget moins important à la communication, puisque les tarifs bas définitifs vont attirer les clients d'eux-mêmes. Les dépenses en publicité sont à des niveaux astronomiques. Elles devraient largement dépasser le milliard de dirhams pour 2007.
Le bilan pour 2007 reste globalement positif, mais il reste à voir comment Wana va s'y prendre pour la téléphonie mobile nationale.
Sans avoir des tarifs réguliers bas pour les communications, les promotions offertes par Wana sont de loin plus intéressantes que celles de Maroc Telecom et de Méditel. Wana propose souvent des offres illimitées pour les appels intra-Bayn à un tarif parfois de 1 ou 5 dirhams. Ce n'est donc finalement pas très surprenant que Wana rencontre un tel succès, malgré les limitations géographiques pour l'utilisation du service.
La promotion exceptionnelle d'appels gratuits entre numéros Bayn jusqu'au 31 juillet dont ont bénéficié les clients qui ont souscrit au service entre le 7 février et le 5 avril y est pour beaucoup. A tel point qu'on se posait la question relativement à la possibilité qu'une partie importante de ces clients pouvait abandonner le service à la fin de la promotion. Le quotidien L'Economiste a rapporté récemment que le taux de churn pour l'opérateur a été de 3%, c'est-à-dire que l'opérateur a annoncé n'avoir perdu qu'environ 30 000 clients sur le million. Quand on sait que l'opérateur a presque réalisé ce nombre en une seule journée en février, cela semble un taux très bas.
Comme on peut le voir dans les tableaux et graphiques suivants, l'opérateur a pu en effet maintenir une croissance relativement régulière du nombre de ses clients.
Ces données sur l'évolution mensuelle du nombre de clients proviennent de deux sources: celles de l'ANRT en gras sont des données officielles, alors que celles en italique sont celles approximatives publiées par L'Economiste.
Graphiquement, la courbe est assez lisse. Elle n'indique aucune tendance à la baisse, bien au contraire.
Il est plus intéressant d'examiner la variation mensuelle calculée à partir du premier tableau.
Il est très intéressant de noter les ventes réalisées en septembre. Il est encore tôt pour essayer de tenir compte de l'aspect saisonnier observé au niveau de la téléphonie mobile.
La stratégie de Wana
Wana utilise une stratégie d'entrée sur le marché des télécoms très bien étudiée et qui englobe notamment des aspects économique, marketing et règlementaire.
- Pour les services de téléphonie, l'opérateur a opté pour une stratégie un peu originale, qui est celle de l'installation d'un réseau de téléphonie mobile uniquement dans les grandes agglomérations. Avec la notion de mobilité restreinte, l'opérateur a donc pu commencer à rentabiliser un an à l'avance ce qui deviendra un réseau de téléphonie mobile (nationale)! D'un point de vue économique, c'est une stratégie très efficace dans deux sens: celui d'assurer une rentabilisation très rapidement et celui de permettre une exploitation de la capacité déjà installée selon une répartition géographique très étudiée. Le cahier des charges pour un opérateur mobile ne l'aurait pas permis, d'où la licence dite de « nouvelle génération ».
- Cette stratégie, avant tout purement économique, est très cohérente avec la manière dont cette notion de mobilité restreinte a été présentée au grand public et à la presse. Alors que les Marocains ne connaissaient que la téléphonie fixe, la téléphonie mobile et les téléboutiques et autres publiphones, il semblait très risqué de vouloir leur vendre un téléphone mobile qui ne fonctionne que dans la ville où il a été activé. C'est ainsi que les campagnes publicitaires et la stratégie marketing ont été axées sur l'aspect « téléboutique de poche », beaucoup plus séduisant pour des Marocains qui trouvent les services traditionnels trop chers et qui veulent payer leurs communications un dirham à la fois.
- Enfin, d'un point de vue règlementaire, cette stratégie de Wana a été une bénédiction pour l'ANRT qui était de plus en plus embarrassée par les chiffres pour la téléphonie fixe régulièrement en baisse. En intégrant les chiffres de la « mobilité » restreinte parmi ceux de la téléphonie « fixe », l'ANRT a commencé à parler d'un taux pénétration qui a presque doublé en neuf mois!
Ces explications ayant été faites, on note que finalement Wana a d'abord visé un segment du marché qui n'est ni la téléphonie mobile ni la téléphonie fixe. Les marchés de ces services n'ont donc pas été bouleversés. Lors des trois premiers trimestres 2007, Maroc Telecom et Méditel ont vu le nombre de clients à la téléphonie mobile augmenter de près de 3,2 millions. Ce qui permet de relativiser un peu les chiffres de Wana. Les tarifs dans ces marchés (mobile et fixe) sont restés inchangés ou quasiment inchangés (pour le fixe).
Le marché du mobile est toujours un duopole et celui du fixe un monopole. Wana a créé un troisième marché sur lequel l'opérateur détient quasiment un monopole, sauf que l'opérateur essaie de se créer une base de consommateurs la plus large possible. La mobilité restreinte est également utilisée par Wana comme un cheval de Troie pour attaquer le marché de la téléphonie mobile au Maroc.
Si Wana maintient la même stratégie et la même tarification lorsque l'opérateur offrira la téléphonie mobile en début 2008, alors la concurrence commencerait réellement dans un marché qui en a grandement besoin.
La concurrence sur le fixe ne commencera qu'avec le dégroupage de la boucle locale de l'opérateur historique. Cela risque de prendre encore quelques années avant que cela n'arrive cependant. Cette option étant beaucoup moins rentable actuellement pour les opérateurs alternatifs par rapport à l'utilisation de leurs propres réseaux de téléphonie mobile.
La réaction et la non-réaction des autres opérateurs
Il n'y a eu quasiment aucune réaction de la part de Maroc Telecom au niveau des services de téléphonie mobile ou fixe. La seule réaction de l'opérateur historique a été une réduction importante des tarifs des appels en téléboutique. Ces tarifs ont par la suite été suivis par Wana. Il n'y a eu aucune modification au niveau des tarifs de la téléphonie mobile chez Maroc Telecom depuis plusieurs années. L'arrivée de Wana n'y a absolument rien changé.
Pour la téléphonie fixe, Maroc Telecom a modifié les tarifs mais de manière vicieuse. L'opérateur historique a allongé les paliers de décompte à 2 minutes! Il a unifié les tarifs pour les communications nationales, ce qui s'est traduit par une hausse des tarifs de tous les appels locaux. Pour l'offre MobiSud, celle-ci était prévue depuis longtemps et son lancement n'est pas lié à l'arrivée de Wana. Cette offre étant censée donner des incitations supplémentaires aux MRE (marocains résidents à l'étranger) pour que ceux-ci adoptent les produits MobiSud en France, en Belgique et bientôt dans d'autres pays. Par la même occasion, l'opérateur historique segmente davantage le marché de la téléphonie au Maroc.
Méditel, opérateur de téléphonie mobile, s'est senti plus menacé et a été très réactif la semaine même de l'entrée de Wana dans le marché de la téléphonie. Méditel a commencé par attaquer le concept même de mobilité restreinte, ce qui lui a valu, à tort à mon avis, la suspension d'une publicité qui comparait les produits Bayn à un petit taxi qui ne quitte pas le périmètre urbain. Méditel a profité d'une campagne de promotion déjà en cours pour proposer des packs GSM à un tarif inférieur à celui pratiqué par Wana, tarifs déjà très bas. Il ne faudrait pas confondre là les tarifs des packs (appareils téléphoniques) avec les tarifs des communications qui restent très élevés chez tous les opérateurs et parmi les plus élevés dans le monde arabe et en Afrique du Nord.
Méditel est même allé jusqu'à lancer la marque Forsa, dite « low cost », qui propose la téléphonie mobile nationale aux tarifs Bayn moins un centime. C'est l'unique réaction significative d'un opérateur au niveau des tarifs. En faisant cela cependant, Méditel ne s'adresse qu'à la clientèle potentielle de Wana et non pas à ses clients captifs pour qui les tarifs sont restés au beau fixe. Il s'agit là d'un autre exemple de la segmentation du marché.
Bilan pour 2007
J'admets que j'étais moi-même assez sceptique au départ relativement à l'offre en mobilité restreinte. Je suis de plus peu convaincu du choix d'offrir exclusivement des offres prépayées. Enfin, le choix d'adopter une technologie différente (CDMA2000) de celles des autres opérateurs restera un choix peu clair.
La tarification promotionnelle adoptée par l'opérateur est très intéressante et a apporté réellement un souffle nouveau. Sauf que le marché des télécoms au Maroc se porterait beaucoup mieux si les tarifs bas seraient les tarifs réguliers. Cela permettrait aux opérateurs de réserver un budget moins important à la communication, puisque les tarifs bas définitifs vont attirer les clients d'eux-mêmes. Les dépenses en publicité sont à des niveaux astronomiques. Elles devraient largement dépasser le milliard de dirhams pour 2007.
Le bilan pour 2007 reste globalement positif, mais il reste à voir comment Wana va s'y prendre pour la téléphonie mobile nationale.